«Sauver Noël»

Peut-on éviter que les célébrations riment avec propagation de la COVID-19 ? Ce n’est plus la magie, mais le dilemme de cette sacro-sainte fête familiale. Le Québec veut tout faire pour la préserver, mais beaucoup d’incertitudes planent au-dessus du sapin…

« Sauver Noël » : l’axiome est sur toutes les lèvres. On semble prêt à tout pour marquer ce moment de l’année : faire manquer des journées d’école aux enfants, s’imposer des miniquarantaines et user de multiples subterfuges pour rappeler à ce virus qu’il ne gagnera pas sur tous les fronts. Faire vivre ce rite — quitte à tisser de la chaleur humaine avec de la laine d’acier pour ne pas qu’elle cède sous le poids des contraintes, des règles et des précautions —, mais le faire vivre… au moins un peu.

« Sauver Noël » est presque devenu un cri de ralliement, une lueur d’espoir, illogique peut-être, mais une lueur d’espoir tout de même face à la noirceur ambiante. Un fil auquel se rattacher pour contrer aussi cet appel qui avait été lancé à l’opposé pour « annuler Noël ». Mais était-ce si important, de sauver Noël ? Certainement, croit l’anthropologue Guy Lanoue, également directeur du Département d’anthropologie de l’Université de Montréal. « On ne peut pas simplement éliminer un rituel. » Déjà, nos points de repère sont chambranlants. Déjà, le sol se dérobe sous nos pieds. « Les rituels sont importants. Ils définissent l’espace imaginaire dans lequel nous vivons. » Un espace partagé, nourri d’idées et de valeurs, une sorte de pont entre les individus qui est mis en scène, qu’on peut bien sûr saboter ou remettre en question, mais qui est là tout de même. « Les rituels, c’est un peu comme la graisse qui fait fonctionner la société. Ça donne de la continuité, tout en ayant un élément d’individualité. Tu es toi-même, hyperpuissant, dans ton espace rituel. »

Dépoussiérer Noël

Toutefois, personne ne détient un copyright sur Noël. Ces rituels, chargés et puissants, ne sont pas pour autant figés. On a bien réinventé l’Halloween, la rendant encore plus féerique aux yeux des enfants avec ces tuyaux, glissoires et tubulures en tout genre devenus, le temps d’une soirée, d’ingénieux propulseurs à bonbons. Une tuyauterie qui ne disparaîtra d’ailleurs peut-être pas après l’arrivée du vaccin tant attendu. Puisque, « dès qu’on a un modèle, qu’on répète l’action et qu’on se met d’accord avec les autres qu’on doit faire ceci ou cela, que ce soit tacitement ou implicitement, on a un rituel », soutient Guy Lanoue.

Au tour de Noël, donc, d’être réinventé, et pourquoi pas aussi un peu dépoussiéré. Déjà, les lumières de Noël ont fait leur apparition plus tôt dans les rues cette année. Des initiatives visant à encourager le commerce local ont également émergé — et elles ne pourraient apporter que du bon. On imagine bien sûr aussi une popularité jamais atteinte pour les plateformes de rencontres virtuelles le jour de Noël. Et pourquoi pas un retour en force des cartes de Noël, des doses d’amour livrées directement dans la boîte aux lettres sans aucun contact ?

« La créativité sera la clé de ce Noël », dit Sarah Jolicœur, qui prévoit de fêter Noël en format réduit cette année. « Je préfère passer un “plus petit Noël” et sauver des vies que de faire comme si ce danger n’existait pas. » Pour contribuer à redéfinir ce Noël qui est à nos portes, la jeune femme vient de lancer « Noël scintillant », un projet de cartographie de maisons décorées à la grandeur du Québec. Après les chasses aux arcs-en-ciel au printemps, ce sera donc au tour des plus belles décorations de Noël de faire l’objet de rallyes ou de parcours à pied, en traîneau ou en auto, dans notre quartier ou, pourquoi pas, dans la ville voisine. « Ce petit rallye sera pour ma grand-mère son activité magique de Noël », explique celle qui a mis cœur et énergie dans ce projet.

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Diane Robichaud s’est également résolue à souligner Noël d’une manière renouvelée cette année. « Je me meurs de serrer mes petits-enfants dans mes bras, mais j’ai terriblement peur que toutes nos petites fêtes déclenchent un regain de pandémie. » Cette année, ce sera donc « souper au coin du feu [avec son mari] et FaceTime avec les enfants ». Ça vous attriste ? « Franchement, non. Ça va peut-être freiner la surconsommation. »

Christian Rault y voit aussi l’occasion de se recentrer sur son noyau familial. « Nous passerons Noël ensemble, ma femme, mes deux enfants et moi, pour la première fois en 14 ans. Nous ferons un sapin pour la première fois en 10 ans, lance-t-il. On va faire des activités extérieures et manger ensemble, car, dans la vie de tous les jours, ce n’est pas évident, et bien sûr j’essaierai de faire une dinde », ajoute-t-il, se disant toutefois loin d’être convaincu du résultat.

Pas une vraie solitude

Il y aura donc un recroquevillement, certes, mais qu’il ne faut pas oublier de mettre en perspective. Même si la COVID-19 nous obligera à garder plus de portes fermées qu’à l’habitude à l’occasion de Noël, on est loin ici de la solitude, la vraie, celle dans laquelle s’engloutissent des centaines de Québécois à chaque temps des Fêtes. « Les gens disaient qu’ils ne voulaient pas passer Noël seuls, mais ils n’allaient pas vraiment être seuls. Ils allaient garder un accès à leur réseau social, ce que les personnes seules n’ont pas », indique Caroline Sauriol, directrice générale des Petits Frères, un organisme contribuant à briser l’isolement de quelque 1850 aînés à la grandeur de la province.

Et pour ces personnes isolées, Noël, ce n’est pas juste le 25 décembre, rappelle-t-elle. « Noël, c’est une période. Déjà, il y a plein de signes partout qui nous rappellent que Noël, c’est une fête de famille, une fête d’amis. Il y a des annonces à la télévision, des décorations dans les magasins. Pour les personnes seules, c’est épouvantable. » Une réalité qui frappe de plein fouet en temps « normal ». Avec la COVID, elle est, bien sûr, décuplée.

Noël, c’est une période. Déjà, il y a plein de signes partout qui nous rappellent que Noël c’est une fête de famille, une fête d’amis. Il y a des annonces à la télévision, des décorations dans les magasins. Pour les personnes seules, c’est épouvantable.

Les Petits Frères ont eux aussi dû se réinventer à l’approche de ce temps-des-Fêtes-avec-peu-de-contacts. Un calendrier de l’avent sera envoyé aux aînés, tout comme des cartes de Noël ainsi qu’un cadeau. De petits gestes qui seront parsemés sur plusieurs semaines pour rappeler aux aînés isolés que quelqu’un pense à eux. « C’était impensable pour nous d’annuler Noël. »

Ce sera donc un Noël autrement, mais un Noël tout de même. Un Noël dont on se souviendra à coup sûr. Et bien sûr un Noël béni pour bien des grincheux qui seront (enfin !) exemptés de partys de bureau et de grandes tablées familiales.

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À propos de l'auteur : Le Devoir

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