Une inflation qui ne fait pas aussi mal à tout le monde

Une inflation qui ne fait pas aussi mal à tout le monde


L’inflation a atteint un niveau record au Canada, soit 6,8 % en avril. Derrière les chiffres, ce sont des humains qui en subissent les conséquences. Mais la hausse des prix ne fait pas aussi mal à tout le monde. Quatrième d’une série de portraits des visages de l’inflation.

                                                                                                                                                    Dominique et Anthony Gentilcore habitent une grande maison de pierres grises avec deux portes de garage construite au bord d’un petit lac dans un quartier paisible et confortable de Terrebonne, à un peu moins d’une heure du centre-ville de Montréal lorsqu’on ne rencontre pas trop de travaux routiers ou de circulation. Leur ensemble résidentiel aux rues tout en courbes et en ronds-points a eu son heure de gloire lorsque l’une des premières saisons de l’émission de téléréalité <i>Occupation double</i> est venue installer ses candidats littéralement à deux portes de chez eux.

Des lunettes, petite, vive et les cheveux au carré, Dominique est une actuaire à la retraite depuis quatre ans. Des lunettes, grand, direct et spontané, Anthony est le chef d’une entreprise informatique d’une vingtaine de personnes, et il avait enclenché son transfert de propriété et une retraite progressive au moment où la pandémie de COVID-19 est survenue. « Disons qu’on sait compter, les deux », résume Dominique.

Lorsque le gouvernement Legault a annoncé, au début du printemps, qu’il donnerait 500 $ à tous les adultes québécois gagnant moins de 100 000 $ par année pour compenser la forte hausse du coût de la vie, Anthony ne s’est pas senti concerné. Comme son 58e anniversaire approchait, il s’est joint au mouvement « Partage ton 500 » sur les médias sociaux et a invité ses amis à faire de même en donnant à Pleins rayons, un organisme d’aide aux jeunes adultes ayant une déficience intellectuelle ou un trouble du spectre de l’autisme.

« Je dois être honnête. Personnellement, je n’y avais pas droit, aux 500 $. En réalité, c’est les 500 $ de ma femme que j’ai partagés », dit Anthony en riant. « Je ne connais personne qui n’aime pas recevoir de l’argent gratuitement, mais quand je regardais notre situation et celle de mon cercle d’amis, je me disais que ce serait une belle occasion de donner à une bonne cause. »

Inégaux devant l’inflation

Au Québec, 6,7 % des contribuables gagnaient au total plus de 100 000 $ par année en 2017, selon le plus récent portrait de la situation dressé par la Chaire en fiscalité et en finances publiques de l’Université de Sherbrooke. Un peu moins du quart (23,5 %) avaient un revenu de 50 000 $ à 100 000 $, presque la même proportion (23,3 %), un revenu de 30 000 à 50 000 $, alors que 14,5 % gagnaient de 20 000 $ à 30 000 $ et presque le tiers (32 %), moins de 20 000 $ par année.

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Or, l’inflation n’a pas les mêmes répercussions selon les niveaux de revenus et le mode de vie, rappellent les experts. Les ménages aux revenus modestes dépensent en proportion plus pour des biens essentiels difficilement compressibles, comme l’alimentation, le logement et le transport. Les ménages aisés consomment proportionnellement plus de services — comme des repas au restaurant, des sorties culturelles et des voyages — qui ont généralement été moins frappés par l’inflation des derniers mois et disposent d’une marge de dépenses discrétionnaires plus grande qui leur permet d’épargner et de s’adapter aux circonstances.

« Gâtés par la vie »

Selon le Calculateur de taux d’inflation personnel de Statistique Canada, le coût de la vie a augmenté de 5,6 % pour Dominique et Anthony entre avril 2021 et avril 2022, soit un peu moins que la moyenne québécoise (6,8 %).

Anthony fait son budget depuis qu’il a l’âge de 16 ans. Il peut ainsi dire que l’épicerie a coûté 1500 $ de plus cette année, même si le couple mange moins de viande qu’autrefois et que ses deux grands enfants n’habitent plus à la maison. « On gaspille moins de nourriture aussi depuis que je suis à la retraite et qu’on est plus à la maison, parce qu’on a plus le temps de se faire nos repas », explique Dominique. « Mais on ne peut pas vraiment dire qu’on a changé nos habitudes alimentaires à cause de l’inflation. On n’a pas mangé de homard cette année parce qu’il était trop cher, un peu comme tout le monde. J’ai aussi fait le saut, l’autre jour, lorsque je me suis rendu compte que j’en avais pour 14 $ de raisins verts. C’est sûr qu’on va en manger moins. »

Depuis la pandémie, les clients d’Anthony acceptent plus naturellement qu’il n’emprunte pas chaque fois sa voiture pour aller les rencontrer et que certaines réunions se fassent plutôt sur des plateformes de vidéoconférence. « On fonctionnait déjà beaucoup en télétravail dans notre entreprise avant la pandémie. Ça fait mon affaire, parce que je ne me fais pas à l’idée d’une essence à 2 $ le litre. »

Comme la maison est aujourd’hui payée, les hausses des taux d’intérêt ne sont pas un problème non plus, et la hausse des prix immobiliers est même une bonne nouvelle. Cela risque toutefois d’être une autre paire de manches pour les enfants.

« Contrairement à nous, ils ne savent pas ce que c’est, des taux d’intérêt et une inflation élevés », indique le père, qui faisait de la peinture dans la nouvelle copropriété de sa fille quelques jours auparavant. « Je lui avais bien conseillé de prendre un prêt hypothécaire fermé de cinq ans. »

Dominique et Anthony ne s’en font toutefois pas trop non plus pour leurs enfants. Expert en informatique comme son père, leur fils, qui a 31 ans, ne devrait jamais avoir trop de mal à se trouver un bon emploi, alors que sa sœur, 29 ans, commence une carrière de médecin.

« Quel que soit ton revenu, tu te sens toujours concerné lorsque tout autour de toi se met à coûter plus cher, soutient Anthony. La question importante est : as-tu la capacité financière de t’y adapter ? Nous, on a été gâtés par la vie. »

Une ombre sur la retraite

Pour Dominique et Anthony, le principal souci que cause le récent sursaut de l’inflation est son incidence sur leurs dépenses et leurs revenus à la retraite. Jusque-là, les scénarios de retraite de la plupart des experts comptaient sur une inflation annuelle de 2 % et un rendement des placements de 4 % à 4,5 %, pour un gain net d’un peu plus de 2 % par année, explique Anthony. « Aujourd’hui, l’inflation dépasse les 6 %, et si vous savez où je peux trouver un rendement de 8,5 %, dites-moi où ! Dominique est déjà à la retraite, alors il va falloir s’adapter, mais moi, je me dis que je ferais peut-être mieux d’attendre encore un peu avant de prendre ma pleine retraite. »

La décision est d’autant plus délicate qu’avec la remontée de leurs taux d’intérêt, les banques centrales pourraient bien finir par plonger les économies en récession et plomber le prix des maisons, poursuit ce passionné de chiffres et d’économie. « Dans notre cas, c’est en amenant tout ce stress et toute cette incertitude sur notre retraite que l’inflation nous affecte le plus. On s’en parle chaque jour. Il ne faut pas se tromper. »

<h4>À voir en vidéo</h4>

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À propos de l'auteur : Le Devoir

Le Devoir a été fondé le 10 janvier 1910 par le journaliste et homme politique Henri Bourassa. Le fondateur avait souhaité que son journal demeure totalement indépendant et qu’il ne puisse être vendu à aucun groupe, ce qui est toujours le cas cent ans plus tard. De journal de combat à sa création, Le Devoir a évolué vers la formule du journal d’information dans la tradition nord-américaine. Il s’engage à défendre les idées et les causes qui assureront l’avancement politique, économique, culturel et social de la société québécoise. www.ledevoir.com

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