Rester sur sa faim

Rester sur sa faim

Notre assiette coûte plus cher, c’est indéniable. Dans ses plus récentes données sur l’indice des prix à la consommation (IPC), publiées en juin, Statistique Canada évaluait à 9,7 % la hausse du panier d’épicerie sur une année. Pour une part grandissante de Québécois, cette assiette pèse paradoxalement moins lourd. Plus frugale, elle est aussi moins saine, un cercle vicieux que nourrissent nos trop nombreux déserts alimentaires, comme en témoigne une analyse du Devoir qui montre que plus de la moitié des zones résidentielles de la métropole entrent dans cette chiche catégorie.

Au quotidien, tous conviendront que remplir l’assiette finit immanquablement par peser. Manque d’imagination, désorganisation, temps qui file, compétences culinaires en perdition : mille raisons expliquent un désamour généralement passager. Pour un nombre de plus en plus important, cet impératif se double toutefois d’un stress structurel qui finit par user. La distance, lorsqu’elle devient déraisonnable, représente en effet un obstacle de taille à une alimentation saine. Cette fragilité pèse encore plus lourd en temps d’inflation galopante.

Pour les ménages qui possèdent une voiture (et peuvent encore se permettre de la faire rouler), cela se contourne assez aisément avec un peu de temps et d’organisation. C’est le cas pour les habitants de L’Île-Bizard–Sainte-Geneviève, un quartier favorisé où plus de 70 % du territoire résidentiel constitue un désert alimentaire sans que cela grève forcément les assiettes. Ce n’est pas le cas dans les quartiers plus défavorisés, où chaque dollar compte, comme à Saint-Léonard, qui fait partie de ceux qui affichent la plus grande proportion de déserts alimentaires de l’île.

Quand l’épicerie est trop loin, l’approvisionnement devient un casse-tête qui conduit aux dépanneurs et aux magasins à un dollar, où l’offre vient avec une surreprésentation des aliments transformés au détriment — parfois même jusqu’à l’effacement — des produits frais. Le hic, c’est que c’est aussi dans ces quartiers que se concentrent les restaurants rapides. À Montréal-Nord, par exemple, on ne trouve qu’un supermarché pour neuf restaurants-minute, qui font bombance sur cette disette forcée.

Une dynamique détestable que l’arrondissement de Côte-des-Neiges–Notre-Dame-de-Grâce a réussi à casser. Non sans devoir batailler ferme. Contestée jusqu’en Cour suprême, son idée de se servir du zonage pour limiter les zones où peuvent s’installer les nouveaux restaurants rapides a passé le test juridique au printemps. Ce faisant, la Cour a ouvert une brèche dans laquelle toutes les municipalités auraient avantage à s’engouffrer afin de tenir la malbouffe à distance.

Les turbulences qui secouent nos assiettes appellent néanmoins des gestes encore plus structurants. Et ce n’est pas un chèque de 500 $ qui va remplir tous les ventres creux. Aux premiers mois de la pandémie, l’insécurité alimentaire avait atteint un plafond inquiétant au Québec. Évaluée alors à 26 % par l’Institut national de santé publique (INSPQ), cette proportion est repartie en vrille, inflation et guerre aidant. Le dernier coup de sonde évaluait que 24 % des ménages avaient eu un « accès inadéquat ou incertain aux aliments sains et nutritifs » en mai dernier.

Les banques alimentaires accusent avec difficulté ce bond prodigieux, elles qui accordent maintenant 20 % de leurs paniers à des petits salariés. Du jamais vu. Or, une veille scientifique fraîchement dévoilée par l’INSPQ rappelle cruellement que le panier reste une solution imparfaite. Et pas parce qu’il compense les failles de l’État. Avare de fruits et de légumes, pauvre en fer et en calcium, il abuse du sucre et du sodium, selon la revue de l’INSPQ. Ses portions sont de plus mal équilibrées ou insuffisantes, en plus de servir de vidoir aux produits périmés.

Tout ceci masque une « faim cachée », qui se traduit en carences en vitamines et en micronutriments. L’assiette bleue universelle dont nous rêvons ne saurait se contenter de si peu. D’autant que ceux qui peuvent se la payer se raréfient, comme en témoigne notamment le fait que des habitués des paniers de légumes locaux les délaissent cet été pour épargner leur portefeuille. Une tendance qui inquiète.

De plus en plus de voix réclament par conséquent une intervention de l’État afin qu’il sécurise l’accès aux aliments de base. Le fruit est plus que mûr. Nous sommes déjà familiers avec la mécanique, les bases de la gestion de l’offre pourront nous inspirer. Ce sera aussi l’occasion de faire coup double en accordant un soutien supplémentaire à ceux qui nous nourrissent. Ils le méritent bien.

Le gouvernement caquiste, qui défend déjà plusieurs idées prometteuses pour augmenter l’autonomie alimentaire du Québec, aurait tort d’attendre les élections pour sortir de son chapeau de nouvelles actions ciblant plus spécifiquement la sécurité alimentaire. D’abord parce que la faim n’attend pas, mais surtout parce qu’elle ira empirant, ont prévenu mercredi les fournisseurs canadiens de produits alimentaires, qui préparent de nouvelles hausses pour l’automne. On passe à table ?

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À propos de l'auteur : Le Devoir

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